Les figures qui ont changé le visage du jazz à chaque époque

22/04/2025

Les débuts : le New Orleans Jazz

Tout commence dans la moiteur de La Nouvelle-Orléans au début du XXᵉ siècle. Ici, la musique respire la diversité culturelle : les racines africaines, les chants des églises baptistes, les harmonies européennes et les rythmes caribéens se mêlent pour donner naissance à une nouvelle forme d’expression. Le New Orleans Jazz est la première pierre angulaire d’un édifice qui ne cessera de s’étendre.

  • Buddy Bolden : Si son nom reste auréolé de mystère – aucune de ses performances n’a été enregistrée –, Bolden est souvent considéré comme le père fondateur du jazz. Avec sa manière unique de « faire crier » sa cornet (un ancêtre de la trompette), il a injecté dans la musique une énergie brute et une liberté rythmique jusque-là inconnue.
  • Jelly Roll Morton : Pianiste, compositeur et chef d’orchestre, Morton a fait du jazz un art organisé, affirmant même qu’il en était l’inventeur. Avec des compositions comme "King Porter Stomp", il a posé les bases de l’improvisation et insufflé au jazz son penchant pour le swing.
  • Louis Armstrong : Même si ses années les plus marquantes se situent plus tard, c’est à la Nouvelle-Orléans que le jeune Louis Armstrong apprivoise sa trompette et gagne son surnom affectueux, Satchmo. Membre du King Oliver Creole Jazz Band, il devient l’un des premiers solistes héroïques dans l’histoire du jazz.

L’ère du Swing : les big bands prennent le pouvoir

Dans les années 1930, le jazz quitte les petites fanfares et s’étend à de grandes formations orchestrales : les big bands. C’est l’époque du swing, une musique pour danser. Les clubs grouillent de couples affairés à maîtriser le Lindy Hop, et des chefs d’orchestre iconoclastes s’imposent comme des figures incontournables de cette période prolifique.

  • Duke Ellington : Impossible de parler de l’ère du swing sans évoquer ce génie orchestrateur et narrateur sonore. Avec des œuvres comme "Take the A Train" ou "Mood Indigo", il définit le swing comme un art capable de sophistication et d’universalité.
  • Count Basie : Si Ellington représentait la finesse, Basie était le roi de l’énergie brute. À la tête de son orageuse Count Basie Orchestra, il a popularisé des titres au groove implacable comme "One O’Clock Jump".
  • Benny Goodman : Surnommé le "King of Swing", Goodman a démocratisé le jazz auprès des spectateurs blancs de l'époque, et sa performance historique au Carnegie Hall en 1938 symbolise l’entrée du jazz dans les institutions musicales élitistes.

Le Bebop : la rébellion des virtuoses

À la fin des années 1940, le paysage du jazz change radicalement. Abandonnant les grandes salles de bal, la musique retourne dans les clubs plus intimes. Ce qui émerge alors, c’est le bebop : un jazz vertigineux, avant-gardiste, loin des structures dansantes du swing.

  • Charlie Parker : Surnommé “Bird”, Parker est l’architecte du bebop. Avec son saxophone alto, il propulse le jazz dans une sphère nouvelle, caractérisée par des harmonies complexes et des tempos effrénés. Des morceaux comme "Koko" restent emblématiques de cette révolution.
  • Dizzy Gillespie : Complice de Parker, ce trompettiste excentrique, reconnaissable à ses joues gonflées et à sa trompette à pavillon relevé, a contribué à populariser le bebop sans compromis, tout en y intégrant des rythmiques afro-cubaines avec des collaborations comme "Manteca".
  • Thelonious Monk : Pianiste au style singulier, Monk joue un rôle central dans l’élaboration du vocabulaire bebop. Ses compositions déstructurées, à la fois mathématiques et pleines de swing, sont devenues des standards, à commencer par "Round Midnight".

Le cool jazz et l’âge d’or du hard bop

Dans les années 1950, le jazz explore de nouvelles directions esthétiques. Le cool jazz émerge sur la côte ouest des États-Unis, tandis que le hard bop, en réaction, puise à nouveau dans les racines bluesy et gospel de la musique.

Les maîtres du cool jazz

  • Miles Davis : Si l’on devait lui attribuer une seule période majeure, ce serait peine perdue, tant son influence traverse tout le jazz. Mais avec "Birth of the Cool", il devient l’un des précurseurs d’un style plus feutré, plus détendu.
  • Dave Brubeck : Pianiste phare du cool jazz, Brubeck mélange influences classiques et jazz. Son album "Time Out" et le légendaire "Take Five" restent des pierres angulaires du cool jazz.
  • Gerry Mulligan : Saxophoniste baryton et prolifique compositeur, Mulligan est synonyme d’élégance musicale. Avec ses formations sans piano, il redéfinit les textures sonores du jazz sur des pièces comme "Bernie’s Tune".

Les piliers du hard bop

  • Art Blakey : À la tête des Jazz Messengers, il transforme le hard bop en un véritable mouvement, carrefour éducatif pour des générations de musiciens comme Wayne Shorter ou Lee Morgan.
  • Horace Silver : Pianiste et compositeur brillant, Silver fusionne gospel, blues et hard bop pour des morceaux devenus mythiques tels que "Song for My Father".

Les années du free jazz : liberté totale

À partir des années 1960, certains musiciens poussent l’idée d’improvisation à son paroxysme. Le free jazz abandonne souvent les mesures, les harmonies usuelles, et même parfois les notions classiques de mélodie.

  • Ornette Coleman : La sortie de l’album "Free Jazz" en 1960 devient une déclaration de guerre musicale. Coleman donne une structure pour la déstructuration, incarnant la quintessence du mouvement.
  • John Coltrane : Bien que l’immortel "A Love Supreme" soit encore ancré dans une structure modale, son jeu s’aventure toujours plus loin, jusqu’à l’imprévisible free jazz avec des disques tels que "Ascension".
  • Cecil Taylor : Pianiste furieusement avant-gardiste, Taylor mélange dissonances, attaques percussives et intensité physique. Ses performances sont de véritables moments de défis sonores pour l’auditeur.

Les métamorphoses contemporaines : du jazz fusion au renouveau actuel

Depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, le jazz continue de muer. Du jazz fusion à l’émergence de figures envahissant les frontières de l’électronique et du hip-hop, la richesse stylistique est immense.

  • Weather Report : Ce supergroupe, avec Wayne Shorter et Joe Zawinul, ouvre les ventes dans les années 1970, mariant jazz, funk et musique électronique sur des morceaux comme "Birdland".
  • Herbie Hancock : Figure emblématique du jazz électrique (album "Head Hunters") et toujours actif, Hancock a revisité les langages sonores à chaque étape de sa carrière.
  • Kendrick Scott, Kamasi Washington : De nouveaux noms comme ces derniers infusent aujourd’hui jazz et hip-hop, rendant hommage au passé tout en repensant la musique de demain.

L'histoire continue, empreinte d'une créativité incessante. À chaque époque son audace, sa quête, ses ruptures. Le jazz demeure infatigable et libre.

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