De Louis Armstrong à Kamasi Washington : les grandes périodes qui ont façonné l’histoire du jazz

07/04/2025

Le swing : quand le jazz voulait faire danser le monde

Les années 1930 marquent l’âge d’or du swing, une période où le jazz devient une véritable industrie musicale. Si le style naît à la fin des années 1920 dans les mains d’artistes comme Fletcher Henderson et Duke Ellington, c’est dans la décennie suivante qu’il explose grâce aux big bands, ces grandes formations orchestrales. Des chefs d’orchestre comme Benny Goodman – surnommé le "King of Swing" – mais aussi des figures comme Count Basie et Glenn Miller imposent alors une musique à la fois sophistiquée et accessible, dont le rythme effréné invite clairement les foules à envahir les dancefloors des années folles et de l’ère du New Deal.

Le swing transforme également le jazz en un phénomène culturel de masse. Les salles de bal (comme le Savoy Ballroom à Harlem), les émissions de radio, l’apparition du disque 78 tours : tout converge pour donner au jazz une notoriété nationale (et même mondiale). Musicalement, le swing se distingue par l’accentuation sur les deuxième et quatrième temps du rythme 4/4, créant un « élan » irrésistible. Cette pulse dansante, combinée aux riffs jubilatoires des sections de cuivre, fait vibrer toute une génération.

Artistes emblématiques : Billie Holiday, Count Basie, Glenn Miller, Benny Goodman, Ella Fitzgerald.

Le be-bop : le jazz sort du cadre et se révolutionne

Années 1940, fin de partie pour l’insouciance du swing. Dans les clubs enfumés de New York comme le Minton’s Playhouse, un cercle restreint de jeunes prodiges se radicalise. Leurs noms ? Charlie Parker (alias "Bird"), Dizzy Gillespie, Thelonious Monk. Leur arme ? Le be-bop, une musique complexe, virtuose, exigeante. Loin des big bands et des danses de salon, le bop replace l’improvisation au cœur du discours jazzistique.

Pourquoi le be-bop est-il révolutionnaire ? D’abord par sa vitesse vertigineuse et la complexité de ses harmonies. Là où le swing restait séduisant pour un public généraliste, le bop devient une affaire de musiciens. Les phrases mélodiques explosent en cascades imprévisibles, souvent basées sur des substitutions harmoniques audacieuses. Le solo devient le terrain de jeu principal, et le public est là pour écouter – plus pour danser.

Si le be-bop clive dans un premier temps, il devient vite une référence incontournable. Aujourd’hui encore, ses codes inspirent de nombreux jazzmen modernes.

Artistes emblématiques : Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, Bud Powell, Max Roach.

Du be-bop au hard-bop : un retour aux racines ?

Dans les années 1950, le hard-bop donne une nouvelle direction au jazz. Héritier direct du be-bop, il cherche à réintroduire les influences blues et gospel dans le langage jazzistique. Moins cérébral que son prédécesseur, le hard-bop prend un ton plus chaleureux et émotionnel, souvent porté par des compositions au groove intense, ancrées dans le quotidien des communautés afro-américaines.

Des labels comme Blue Note ou Riverside deviennent les bastions de ce jazz plus accessible. Des artistes emblématiques comme Art Blakey & The Jazz Messengers, Horace Silver ou encore Cannonball Adderley popularisent un style à l’intersection du bop virtuose et des chants d’église. Le hard-bop ancre aussi le jazz dans des préoccupations sociales, étroitement liées aux luttes pour les droits civiques.

Artistes emblématiques : Art Blakey, Horace Silver, Clifford Brown, Sonny Rollins, Cannonball Adderley.

Le free jazz : quand tout éclate

Dans les années 1960, le jazz entre dans une véritable guerre des esthétiques. Et à l’avant-garde, il y a le free jazz, qui explose les conventions de la musique. Lancé par des figures comme Ornette Coleman – dont l’album Free Jazz: A Collective Improvisation (1960) donne son nom au mouvement – et Albert Ayler, ce style refuse presque toutes les règles : harmonies complexes, absence de tempo fixe, formes ouvertes, pure expression de l’instant.

Le free jazz choque, perturbe, divise. Certains le voient comme une rébellion nécessaire contre les carcans académiques du jazz mainstream, d’autres comme une impasse aberrante. Mais quoi qu’on en pense, il est une étape clé dans la libération totale des formes musicales, influençant des genres aussi variés que le rock psychédélique ou la musique contemporaine.

Artistes emblématiques : Ornette Coleman, John Coltrane (fin de carrière), Albert Ayler, Cecil Taylor, Sun Ra.

Jazz modal et jazz-rock : entre contemplation et électricité

Le jazz modal apparaît dès la fin des années 1950 sous l’égide de Miles Davis et John Coltrane. L’idée est simple mais radicale : abandonner les progressions harmoniques complexes du bop au profit de pièces basées sur un ou deux accords, permettant des improvisations plus libres et introspectives. L’album Kind of Blue (1959) de Miles Davis reste l’archétype du jazz modal, sublimant la simplicité pour créer une ambiance presque méditative.

Puis, dans les années 1970, Miles Davis frappe encore un coup en électrifiant le jazz. Avec des albums comme Bitches Brew (1970), il ouvre la voie au jazz-rock, une fusion entre le jazz et la puissance rythmique du rock. Des groupes comme Weather Report, Return to Forever (de Chick Corea), ou Mahavishnu Orchestra (dirigé par John McLaughlin) explorent cette veine avec une énergie phénoménale, brouillant les frontières entre les genres.

Artistes emblématiques du jazz modal : Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans. Artistes emblématiques du jazz-rock : Miles Davis, Herbie Hancock, Weather Report, Chick Corea.

Le jazz contemporain : héritage et hybridité

Et aujourd’hui ? Le jazz contemporain se nourrit de toutes ces influences, mais il est résolument tourné vers l’hybridité. Des artistes comme Kamasi Washington, Shabaka Hutchings ou le collectif Snarky Puppy réinventent le genre en intégrant des éléments de hip-hop, de musique électronique, ou encore de musiques du monde. Bien loin des académismes, le jazz contemporain se veut une conversation ouverte avec son époque, tout en restant fidèle à son ADN : l’improvisation, l’innovation et la diversité.

Peut-on parler d’une évolution linéaire du jazz ? Certainement pas. Le jazz s’est construit sur des ruptures stylistiques successives, où chaque nouvelle période ne se contente pas de prolonger la précédente, mais la questionne, la remodèle et parfois la rejette. Cette capacité à se réinventer est sans doute l’un des plus beaux trésors du jazz – une musique en constante mutation, refusant la fixité.

Miles Davis - clé de voûte du jazz moderne

Sources : - Giddins, Gary, Jazz (The Ultimate Guide), Oxford University Press. - NPR Music, "The Origins of Bebop". - AllAboutJazz.com, "Key Changes in Jazz History". - SmithsonianJazz.org, ressources pédagogiques.

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